Elections à la FFC (2): Débat au P’tit Cyclo – Le sprint vers Saint Quentin!
Le 5 décembre, sous un ciel gris, horizon bouché comme bien souvent… Louis Novo, journaliste d’investigation quittait le brouhaha de la capitale pour se rendre à Saint-Germain-du-Perche, un irréductible village français avec son bistrot légendaire « Le P’tit Cyclo », siège du club cycliste local.
Voici deux ans, il y avait enquêté sur une réforme controversée du cyclisme. Suite à quoi, il publia « le vélo d’Albert perd les pédales ». Cette fois-ci, il s’agit de l’élection du Président de la fédération qui est au cœur des débats. Façon de conclure ses recherches et compléter sa chronique « Quand les élections virent à la castagne ».
Un autre article où il y décrivait les coulisses tumultueuses des fédérations sportives françaises, minées par les rivalités, les intrigues et les manipulations entre candidats dans une ambiance délétère avec un Ministère des Sports impuissant à s’immiscer dans le processus électoral.
Louis Novo aimait voyager en train pour son travail, ça l’aidait à réfléchir et depuis Montparnasse, ses pensées cheminaient dans la brume du matin, bercées par le bruit lancinant du train à travers la campagne qui se réveillait. Il était attendu vers 10h30 par Alphonse et Albert, les deux dirigeants emblématiques du club de St Germain-du-Perche.
Faire parler les gens était son métier et forcément, il y aurait des choses savoureuses à entendre au P’tit Cyclo. Il avait hâte de revoir les deux comparses au verbe direct et pittoresque.
Arrivé à la gare à 10h 03, il marchait d’un pas léger, impatient de boire le café qui effacerait celui du matin, resté sur l’estomac. En arrivant, sur la petite place, il reconnut la marque Peugeot au fronton du petit immeuble, l’arrêt de bus, les bans à droite du célèbre bistrot.
Louis Novo entra, l’œil scrutant l’intérieur du bistrot. Le comptoir était désert. L’avaient-ils oublié ? Au bout de quelques minutes, il osa :
- Y a quelqu’un ?
- Évidemment qu’il y a quelqu’un et ce quelqu’un, c’est Alphonse, et le gars dans sa roue, c’est Albert, dit le Percheron quand on veut le moquer. Tu nous reconnais, le Parisien ?
La voix rocailleuse d‘Alphonse résonna dans la pièce. Barbe blanche, béret vissé sur le crâne et marinière rayée, ils n’avaient pas pris une ride. Ils étaient là, tous les deux, comme figés dans le temps, dans ce décor chaleureux où se mêlaient les odeurs de café et de tabac froid. Albert, toujours aussi massif, les regardait d’un air amusé.
- Suis sûr, l’écrivaillon, qu’un café maison dans une vraie cafetière avec un p’tit coup de fort te ferait grand bien, tu sais, on a bien reçu ton article « Quand les élections virent à la castagne » par la Poste et on l’a lu et relu avec Albert pas plus tard que ce matin, y a pas à dire, c’est le bordel partout, hein Albert !
Alors lança Louis Novo, en sirotant son café :
- Alors cette élection pour la Présidence de la Fédé, vous en pensez quoi ?
- RIEN, je vais te dire, y’en a un qui ne veut pas laisser sa place et un autre qui veut la piquer. Et tous les deux ont le même programme : pour voyager loin, il ne faut surtout pas savoir où on va…
Alphonse éclata de rire, sa voix tonitruante résonnant dans le petit bistrot mettait de bonne humeur et plantait le décor de ses convictions.
Albert, plus mesuré, dégustant son verre de chardonnay, prit la parole :
- C’est un peu facile de généraliser, Alphonse. J’ai rencontré le nouveau candidat et il m’a semblé sincère et très réaliste. Il a l’air de vouloir vraiment changer les choses, mais il a une sacrée montagne à gravir. Rends-toi compte Alphonse, voilà quelqu’un qui rencontre les clubs pour les écouter, les ÉCOUTER, et tout ça en fourgonnette et à ses frais. Sur toute la France. Faut en vouloir, c’est dingue !
- Et qu’est ce qu’il dit ton gazier Albert ?
- Eh bien, il raconte la détresse des clubs, qu’ils ne savent plus trop quoi faire, pour trouver de l’argent, pour ne pas perdre des licenciés, pour organiser des courses, qu’ils en ont ras le bol des règlements et des catégories qui n’ont aucun sens, etc. etc.
- Ça fait longtemps qu’on sait ça, il est en train de découvrir le fil à couper le beurre ton gars. Es-tu bien sûr qu’il a les épaules pour diriger et transformer une Fédé comme la nôtre ?
- Alphonse, je n’en sais trop rien. Une chose est certaine, en tous cas c’est certain il connaît le vélo, il dirige une équipe amateurs de la capitale (il en reste pas beaucoup…). Pas besoin de lui faire un dessin.
Et il soupira, buvant sans soif son verre de chardonnay, jetant un regard nostalgique au poster de Jacques Anquetil, accroché depuis un demi-siècle au mur à droite du comptoir.
- Et puis, voyez-vous les gars, le comble dans toute cette campagne, c’est de voir qu’au moins 50% des clubs vont râler après, alors qu’ils n’auront pas voté ; faute d’avoir fait les démarches… C’est un peu facile, non ?
Alphonse qui écoutait, intrigué par la plaidoirie d’Albert, insinua, perfide…
- Mais Albert, ton « CANDIDAT », il sait au moins qu’on ne gagne pas tout seul, sauf les courses contre la montre, il faut une équipe autour quand même ?
Alors après avoir laissé reposer son cerveau en ébullition, Alphonse poursuivit le chemin de sa pensée …parfois confuse. Alors sentencieux, il ajouta…
- Jacques Anquetil, que j’ai bien connu disait, un homme seul est toujours en mauvaise compagnie et pour gagner le Tour, Jacques avait une équipe de costauds, pas des suceurs de roue ? »
- Quel rapport avec les élections ?
- Comment ça, quel rapport Albert ? Tu les connais-toi ses coéquipiers, son capitaine de route, des gars capables de se mettre minable pour leur leader ? Parce que des politicards en roue libre dans les roues, j’ai déjà donné !
Louis Novo était aux anges. Le débat entre les meilleurs amis du monde prenait la bonne tournure….
Le procureur et l’avocat de la défense qui se chamailleraient, histoire de passer le temps avant midi. Le journaliste se délectait de cette passe d’armes. Quelques notes prises à la volée noircissaient son calepin. Au P’tit Cyclo, pas question d’avoir un magnétophone, sous peine d’être mis à la porte. Mais il sentait que la discussion entre eux, pouvait à tout instant changer de galaxie. Et qu’inévitablement, on parlerait des derniers événements politiques et des agriculteurs en révolte.
Alors il prit la parole…
- Finalement vous êtes tous les deux d’accord, un grand général se reconnaît à son état-major et il poursuivit en souriant – ce n’est pas de moi, je vous l’assure.
- D’abord, c’est pas un général qui a dit ça, mais le Maréchal Lyautey
Toujours le dernier mot pour Alphonse, mieux valait attendre la suite. Le silence s’installa laissant chacun à ses pensées. Il fallait que le soufflet retombe sous peine de partir bredouille de la rencontre.
- Et vous Albert, vous l’avez rencontré récemment lors d’une réunion dans le département ?
Albert hésita un instant :
- Pour répondre à Alphonse sur ses coéquipiers comme il dit, j’ en connais pas beaucoup. C’est pas gagné, je sais, au moins, qu’il a le courage de se lancer dans cette aventure.
Louis Novo restait sur sa faim. Ni l’un ni l’autre n’en dirait plus à un « étranger » Entre les lignes, il lisait des ressentiments, mêlés de dépit. Et après un silence interminable, il relança la conversation :
- Finalement, l’enjeu principal de cette élection, c’est quoi… ?
Albert répondit après un silence comme s’il lisait son billet de commissions à l’épicerie…
- L’enjeu, c’est de redonner un peu de vie à cette fédération, de retrouver l’esprit de camaraderie qui nous animait autrefois, d’attirer des licenciés surtout des jeunes, de sécuriser les courses et les entrainements, de trouver des sous pour financer nos structures, et bon dieu de simplifier le bazar administratif et sportif…
- À t’entendre Albert, il y a des « misères sur terre » qui saisissent le cœur. Eh ben MOI, je ne dis pas comme toi. Depuis 50 ans des gars comme nous, on se fait rouler dans la farine à chaque élection, on nous promet monts et merveilles…
Et après un moment de réflexion, d’ajouter en riant, un verre à la main, posant une main sur son béret :
- Ce qu’il faudrait, en vérité, c’est qu’on décide de détacher le gratin des nouilles. Parce que les nouilles comme nous, on en a RAS LE BERET du gratin, tu peux me croire alors pourquoi pas changer de sauce d’accompagnement, tu vois ce que je veux dire Albert ?
Louis Novo comprenait bien le dilemme de deux hommes, le même qu’il avait rencontré lors de ces précédentes rencontres sur le terrain : renouveler un Président en place qui briguait son 3ème mandat ou prendre le risque d’une nouvelle direction.
- Tu vois Albert quand les gars du club y compris les coureurs voteront ce soir, je n’ai pas la moindre idée du résultat mais ce sera un signe … mais je serai muet comme une carpe. Place à la démocratie participative comme ils disent à la télé.
- Muet comme une carpe, toi Alphonse, mais ils vont tous croire que tu es malade !
- Et toi l’écrivaillon, NON LOUIS tu sais écouter et ça me plait, t’es de chez nous maintenant t’en penses quoi de tout ce cirque ?
- Vous savez Alphonse, moi j’écris ce que j’entends. Mon opinion importe peu mais je vais vous citer une phrase d’André Malraux avant de vous offrir l’apéro « Les grands rêves poussent les hommes aux grandes actions », et des rêves vous en avez plein les yeux, je pense qu’elle est de circonstance non ?
- Whouaa, s’exclama Alphonse, eh ben l’écrivaillon, non Louis, tu causes bien quand tu parles. Maintenant si tu permets, nous allons déguster mon cassoulet qui mijote dans la cuisine depuis un moment. D’ailleurs on le sent d’ici. Albert prend une bonne bouteille et installe nous, tu sais où sont les choses ici.
Louis Novo se régalait dans la chaleur de cette authenticité. Il était au théâtre. Des personnes authentiques sans arrière-pensée, la vie des gens qui aiment le vélo par-dessus tout. La discussion se poursuivait ainsi et les compères riaient, relatant leurs souvenirs cyclistes, ceux du bon temps comme ils aimaient le dire. Alphonse racontait comme le césar de Pagnol, la fourchette levée et un brin nostalgique :
- T’étais pas né Louis mais je vais te raconter la victoire d’Albert dans un critérium. Le bougre avait gagné son poids en chardonnay, hein Albert 70 bouteilles, Bon…maintenant ce serait 90… au moins…
Et soudain, Alphonse, le verre à la main, comme un éclair :
- Tu sais, Louis, moi j’ai le titre parfait pour ton article.
- D’accord, dîtes toujours mais tout va dépendre quand même du résultat du vote de ce soir au P’tit Cyclo, j’appellerai demain vers midi pour savoir qui est votre Président ?
- On s’en fout ; quel que soit le résultat, j’ai le titre ?
À ce moment-là, on entendit « toc toc » à la porte de la cuisine. C’était Marcel, l’ancien coureur professionnel, aujourd’hui paysan. Arrivé comme un cheveu sur la soupe, il privait Louis Novo du titre tant attendu à moins que ce fut une nouvelle gageure d’Alphonse. Marcel s’installa :
- Regardez-moi l’urne pour ce soir, j’ai bricolé une caisse de vin de Bordeaux…y aura tout le monde, tu pourras préparer le vin chaud Alphonse, il vous reste un peu de cassoulet car c’est frisquet dehors et je n’ai pas eu le temps de manger un bout.
La conversation entre les trois hommes allait bon train sur ces futures élections sans rien apprendre de nouveau sur les candidats qu’ils ne connaissent déjà. Louis écoutait tout simplement se disant qu’ils ne savaient ni l’un ni l’autre pour qui ils voteraient. Sans doute, ce le résultat de ce soir serait le juge de paix.
Vers 14 heures toujours sans réponse du fameux titre d’Alphonse, Louis Novo s’apprêtait à quitter le P’tit Cyclo pour reprendre son train vers Paris quand ce dernier lui lança en riant alors qu’il franchissait le pas de la porte.
- Le sprint vers Saint Quentin !…. et à demain au téléphone pour le résultat…
CPT.com/R.M
12/2024
Source et illustrations Louis Novo
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