Evelyne la rescapée…

Evelyne est une rescapée… Victime d’un très grave accident en vélo il y a quelques mois, où deux de ses amis ont eu moins de chance qu’elle, elle s’est confiée à Patricia pour dire son désarroi face à l’escalade des sinistres dont sont victimes les cyclistes, une espèce menacée! Quelle attitude adopter suite à la lecture de cet entretien? Nous choisissons tout d’abord de le publier, invitant chaque lecteur qui souhaite intervenir à se faire connaitre, ou tout simplement à le diffuser plus largement. En effet, à l’heure où les pouvoirs publics sont en passe d’instaurer des règles encore plus contraignantes pour les 2 roues, (notamment par l’obligation de circuler en feux de croisement pour les automobiles), il nous appartient de faire état de ces agressions constantes dont sont victimes les cyclistes dont les informations ne trouvent leur place que dans les colonnes « Faits divers » de la presse quotidienne régionale…

Cyclosport.info 03/2005

Propos recueillis par Patricia Combrichon Evelyne Gomez est membre du club du DHV, club FFCT de Vichy (03) (dont je fais partie également). Elle a accepté de partager avec nous quelques aspects du drame qu’elle a vécu il y a un mois. Je l’en remercie. J’aimerais également remercier tous les dirigeants du DHV, qui ont été exemplaires d’humanité et d’efficacité dans ces moments si difficiles pour le club. Patricia: Evelyne, nous allons revenir sur l’horrible accident qui s’est produit le 11 février 2004 au lieu-dit Floret, sur la commune de Trezelles (Allier), et qui a provoqué la mort de Jean Claude Guyot et Yves Thierry. Quels souvenirs as-tu gardés de ce tragique après-midi ? Evelyne:C’est un mercredi, l’heure de rendez vous du club est à 13 h 30. Je retrouve tous les autres et après la distribution de bises pour le bonjour, Jean-Claude nous annonce « la mort de la femme d’un de nos collègues cyclos qui avait un cancer  » et sur cette note de tristesse, nous partons en formant plusieurs groupes selon les niveaux, je me trouve donc dans un groupe avec 17 ou 18 cyclos. Nous sortons de Vichy au nord- est en direction de Seuillet, Magnet, St Gérand le Puy et sur la D60 notre groupe se sépare. Les premiers doivent faire un circuit plus long et nous retrouver sur le chemin du retour, nous restons donc 12 cyclos, nous roulons en direction de Trezelles en file indienne je me souviens être dans le début du groupe… Et puis je me retrouve couchée sur la route, je ne comprends pas tout de suite ce qui m’est arrivé, j’ai très mal au dos et le sang coule de mon visage, mes collègues sont autour de moi, ils me rassurent, ils ont appelé les pompiers qui ne vont pas tarder à arriver et je comprends que je viens d’être victime d’un accident, je demande  » comment est mon visage ? « , ils me disent que ce n’est que superficiel. Enfin les pompiers arrivent et me mettent dans une coquille avec une minerve autour du cou, j’ai mal au dos et j’ai l’impression de manquer d’air. Une fois installée dans le véhicule des pompiers, nous ne partons pas de suite, nous attendons ; je demande aux 2 pompiers qui sont près de moi  » qu’attendons nous pour partir ? « , leur réponse est celle-ci  » deux de vos collègues qui roulaient devant vous ont eu moins de chance et leur état est plus grave « . Alors j’essaie de me souvenir qui était devant, je ne me souviens que de Jean-Claude et impossible de me souvenir des autres, je suis toujours comprimée dans la coquille et pour essayer d’évacuer le stress qui me rend la respiration difficile, je me mets à contrôler ma respiration –  » 2 inspirations passives et 3 expirations fortes « . Au bout d’un moment nous partons en direction de l’hôpital de Vichy, la route me paraît longue, à notre arrivée les pompiers et les infirmiers s’occupent tout de suite de moi, ils m’emmènent passer des radios du dos, ils me coupent mes vêtements car j’ai très mal au dos et je ne peux pas bouger. Les examens terminés, ils me ramènent aux urgences ; une infirmière vient vers moi, je demande pour téléphoner à mon ami, mon téléphone est dans la poche de ma veste et arrêté, l’infirmière me le donne et au moment où je le mets en route il sonne, c’est mon ami qui m’appelle, il travaille sur Paris et d’habitude quand je rentre de ma sortie vélo, je lui envoie un petit message pour le prévenir de mon retour, il est très inquiet et je lui explique que j’ai été victime d’un accident mais je ne sais pas encore ce qui s’est passé, il décide de rentrer de suite… Puis l’infirmière me donne les résultats des radios je n’ai rien de grave au dos et elle m’annonce la mort de Jean-Claude et d’Yves, je reste pétrifiée par cette annonce, à aucun moment je n’ai pu penser que la mort pouvait être possible…. Patricia:Les dirigeants du DHV ont, grâce aux témoignages des membres du groupe présents lors du drame, reconstitué le fil des évènements. Que s’est-il passé exactement ? Evelyne:Le temps était couvert mais la visibilité était excellente et donc nous roulions en file indienne en direction de Trezelles ,sur cette route de campagne peu de trafic, nous venions de passer le lieu-dit  » Floret  » et la vitesse était limitée à 50 km/heure jusqu’à Trezelles, quand un automobiliste dans une voiture Peugeot 205 effectue un dépassement très proche des cyclos à l’arrière et arrivée à ma hauteur (4ème position) me percute sur le côté de son véhicule, je suis projetée à terre, le véhicule s’éloigne sensiblement vers la gauche et évite le cyclo qui est en 3ème position, mais l’automobiliste revient rapidement pour percuter avec une violence terrible mes 2 amis Yves et Jean-Claude avec l’avant de son véhicule, ceux-ci sont projetés hors de leurs vélos, les autres cyclos ont même eu l’impression qu’ils sont montés au niveau de la ligne électrique, quand ils retombent à terre, ils sont morts. Patricia:Depuis le drame, de nombreuses informations ont circulé sur le conducteur, actuellement en détention provisoire à Lyon. Notamment, selon les propos tenus par son avocat, il semblerait que son état de santé défaillant depuis 2 ou 3 ans ne lui permettait plus de conduire et qu’il était sous traitement médical. Comment réagis-tu lorsque tu entends de telles choses ? Evelyne:J’ai été très choquée quand j’ai appris l’état de ce conducteur, à qui son docteur avait demandé de ne plus conduire.J’aimerais que des mesures efficaces soient prises pour arrêter rapidement tous ces conducteurs qui conduisent sans en avoir les capacités, que leur famille ou leurs proches fassent le nécessaire pour les aider à prendre conscience des tragédies qu’ils peuvent provoquer. Patricia:Je sais que suite à l’accident, tes compagnons d’entraînement et toi êtes fréquemment revenus sur ce qui s’était passé. Comme un film qui revient sans cesse et que vous auriez désespérément essayé de comprendre. Peux-tu nous dire quelques mots sur vos émotions, sentiments, réactions ? Et comment chacun a tenté et tente encore de faire face ? Evelyne:Il est vrai que nous en avons parlé et reparlé, mes collègues cyclos m’ont expliqué l’accident, moi je n’ai aucun souvenir, je ne me souviens même pas du choc et tant mieux pour moi. Pour eux les images sont dans leur mémoire et ce doit être terrible. A l’hôpital on m’a proposé de voir un psy et j’ai dit oui de suite, il m’a beaucoup aidé, je dois le revoir début avril. Mon ami m’a également beaucoup aidé, c’est très important d’être bien entouré dans ces moments si difficiles. Patricia:Blessée, tu n’as pas pu reprendre le vélo, ou toute autre forme d’activité sportive d’ailleurs. Inactivité forcée pour combien de temps encore ? Est-ce que tu n’éprouves pas des angoisses importantes à l’idée de retourner en vélo sur les routes de la région ? Evelyne:L’accident a eu lieu il y a juste un mois et je n’ai pas repris le vélo car j’ai le coccyx blessé, et le déplacement de mon bassin dans le choc m’a provoqué une inflammation du nerf sciatique sur toute ma jambe gauche, j’ai eu une infiltration en début de semaine et je me repose le plus possible pour pouvoir guérir vite et retrouver la forme pour remonter sur mon vélo. Bien sûr ma première sortie en vélo sera difficile, mais plus difficile encore sera mon premier retour au rendez-vous du club car je sais que je n’y retrouverai plus jamais mes amis disparus Yves et Jean-Claude. Patricia:Il semble que tu sois prête à t’engager dans une action pour la sécurité des cyclistes sur la route. Quelles sont tes motivations ? Evelyne:J’ai de la colère en moi depuis cet accident et pour l’évacuer il faut que je m’engage dans une action pour la sécurité des cyclistes sur la route, au sein de notre club nous allons former un groupe et décider ensemble des choses à mettre en place. Patricia:Quels aspects peut prendre cette action selon toi ? Et quelles mises en place ou améliorations à court terme et long terme sont nécessaires ? Evelyne: Beaucoup de choses sont à faire: – Développement des pistes cyclables pour sortir des villes – Des panneaux sur les routes rappelant aux automobilistes qu’ils doivent ralentir en voyant des cyclistes et les doubler en laissant 1 mètre 50 entre leur véhicule et les vélos – Faire prendre conscience aux parents des automobilistes qui ne sont plus en état de conduire, suite à des maladies, des prises de médicaments ou à l’alcoolisme…, de leur faire supprimer le droit de conduire – Et surtout, faire prendre conscience aux autorités qu’il faut légiférer sur le sujet sans tarder Jean Claude et Yves étaient nos amis. Il est important de les garder vivants dans notre mémoire. Chaque route de notre région nous parle d’eux – Yves, s’envolant dès la moindre côte et Jean-Claude, notre ‘gentilhomme’. Mais pour l’instant, les souvenirs sont aussi très douloureux……. Bien sûr Jean Claude et Yves seront toujours présents dans notre mémoire, nous penserons souvent à eux. Dans les moments difficiles sur le vélo, c’est en pensant à eux que nous trouverons le courage d’aller plus loin, et souvent nous échangerons entre cyclos des réflexions qu’ils nous ont dites de leur vivant. Jean Claude était un cyclo qui respectait et faisait respecter la sécurité en vélo sur les routes.

Cyclosport.info

Le JDC. 03/2004.