Cyclovolcanique: Sur la Trans Flores.

velo conceptÀ vélo à travers Flores?
Même en autobus, c’est fatigant! nous prévient Stefan, un sympathique artiste allemand avec qui nous avons discuté voyages et refait le monde, sirotant de grosses Bintang fraîches et nous régalant de «cumi cumi» (calmars) sur le BBQ, lors de notre retour à Lewoleba. Et notre bourlingueur au sac à dos savait de quoi il parlait. Stefan revenait juste de franchir la «Trans-Flores», parcourir de part en part cette île à la topographie tourmentée. «Il n’y a pas de répit. On est toujours en train de monter, descendre ou tourner. Il y a des montagnes partout!» Wow, pensons-nous, on va s’payer la traite! D’autant plus que Flores foisonne de peuples aux moeurs, habitations, étoffes et langues distinctes. Mais une ombre planait sur nos fantasmes: la chaleur qui sévit sous ces latitudes équatoriales. Pas fâchés que la saison des pluies soit désormais décalée et que des averses quotidiennes nous aideront à mieux nous conserver et…pédaler dans ce sauna!

Avant même de se lancer sur la «Trans», la traversée de Lewoleba vers Larantuka, sur la pointe est de Flores, époustoufle déjà. Le Bale Nagi 2, bateau de bois bigarré trimbalant passagers, cargo, motos et vélos entre ces deux ports, longe d’abord le littoral sud-ouest de Lembata, chlorophyllien en la saison, puis s’insinue entre les îles Solor et Adonara, enfilant les détroits de Boleng, Solor et Flores, autant de longues passes serrées que bordent des rivages luminescents et majestueux volcans. L’imposant Ile Boleng, pyramide touffue, domine presque tout le parcours. Faisons escale à Waiwerang, sur la côte sud d’Adonara, le temps de nous délester de quelques scooters, cartons, poules et cochons, des passagers aussi…et en embarquer d’autres! Des enfants montent à l’abordage pour jouer aux débardeurs, s’affairent un moment pour quelques rupiahs, puis s’élancent du toit de la timonerie pour égayer et faire écumer la rade limpide. Levons l’ancre.

En sortant du détroit de Solor, prenons le vent de la mer de Flores en pleine proue et c’est la coque sautant sur l’eau et les bâches orange et bleues claquant dans l’air que nous gagnons le port de Larantuka, emmitouflé au pied d’un vieux volcan, l’Ile Mandiri. Les Portugais y ont établi, dès l’aube de la seconde moitié du 16ième siècle, un poste important sur leur route maritime menant au fameux santal de Timor, arbre des tropiques prisé pour son bois et ses racines. Outre un fort, ils y ont construit maintes églises dont plusieurs ont survécu tremblements de terre et intempéries jusqu’à aujourd’hui. Grâce aux efforts des missionnaires portugais, la quasi-totalité des habitants de Larantuka, principalement des Lamalahots, pratiquent encore le catholicisme tout comme les autres groupes ethnolinguistiques de Flores. Puisque rien de particulièrement transcendant nous semble émaner de Larantuka, même que ses hordes d’ados désoeuvrés flânant le long de la «main» nous inspirent plutôt de la méfiance, et d’imprévisibles—plutôt prévisibles…—pannes d’électricité paralysent quotidiennement cette capitale régionale, quittons entre deux averses et amorçons notre traversée de Flores.

Dès les premiers coups de pédale il nous est difficile de s’imaginer évoluer parmi l’une des régions les plus arides d’Indonésie. Sur toutes les sections de montagnes que nos yeux parviennent à découper—à part la mer et le ciel, c’est tout ce qu’il y a autour de nous!—, que de la verdure: des pâturages abrupts et potagers rebelles jusqu’à la jungle délirante des hauteurs, vert, vert,vert! Aux confins de l’archipel malais, le trafic y est négligeable et, hormis de rares exceptions, ne rencontrons que les mini-bus de brousse dont les opérateurs nous ont tous déjà offert leurs services à Larantuka. Vu qu’ils effectuent des aller-retour quotidiens jusqu’à Maumere, prochaine concentration de commerces et services d’importance où d’autres véhicules prennent le relais et desservent les «stations» plus à l’ouest sur la route, les croisons à maintes reprises durant ces premiers 150 kilomètres. Leurs électrifiants enthousiasme et encouragements, manifestés souvent en appuyant sur ces maudits klaxons à air comprimé ou déclenchant du même mouvement l’une des mélodies du répertoire kitsch de l’humanité, croissent en fonction de la distance parcourue depuis Larantuka! Nous considérons chanceux qu’ils ne voyagent pas sur toute la longueur de l’île jusqu’à Labuhanbajo, ne sillonnent pas les 700 kilomètres de la «Trans-Flores»…

Délaissant la côte pour la première fois, nous hissons jusqu’à une crête reliant un autre vieux volcan au reste de l’île. De l’autre côté, pâmés une fois de plus par l’un de ces paysages hallucinants dont le «Cercle» nous comble depuis quelques années maintenant, découvrons sous des cieux menaçants l’île cônique de Konga et la baie de Lewotobi, contenue au sud par le couple volcanique éponyme, le Lewotobi Perempuan (épouse) et le Lewotobi Laki Laki (époux). Bien que madame fasse plus de 1700 mètres et se soit livrée à quelques frasques éruptives au cours des derniers siècles, c’est surtout monsieur qui maintient les Lamalahots de la région sur le qui-vive ces temps-ci. Le stratovolcan de 1584 mètres a détonné avec conviction en juin 2003, inaugurant une phase éruptive de deux mois. Avions envie de les contourner en empruntant une modeste route qui les ceinture à la base, les trois quarts à travers cocoteraies s’étendant le long de la côte mais les conditions atmosphériques dissimulent les concubins volcaniques et des rumeurs de glissements de terrain nous incitent plutôt à demeurer sur la «Trans» et couper vers Boru et l’intérieur de l’île, juste derrière les Lewotobi.

Suivant une nuitée chez l’habitant, nous hissons hors de Boru et passons un col, la «Trans» profanant de son bitume mordillé la jungle qui jubile ces temps-ci, puis descendons vers Maumere et la baie de Geliting où de belles plages attendent de meilleurs jours. Les nuages voilent le mont Egon, stratovolcan qui sortit d’un long sommeil en 2004. Traînons quelques jours à Maumere dans l’espoir que se montre l’Egon. L’important port de mer et chef-lieu de la régence de Sikka, est réputé pour la qualité de ses «ikat», textiles traditionnels tissés à la main. Nous réfugions dans une chambre à l’air climatisé tandis qu’une tempête tropicale perdue échoue et déferle sur cette partie de l’archipel: arbres et toitures qui volent au vent à Maumere, glissements de terrain meurtriers près de Ruteng, plus à l’ouest sur Flores, et inondations catastropiques à Kupang, sur Timor, capitale de la province de Nusa Tenggara Timur (NTT). Faisons donc une croix sur l’Egon et décidons de consacrer notre temps—toujours limité ici, hélas, en Indonésie—et nos efforts au volcan Kelimutu. Ce joyau du Cercle de feu est une attraction touristique locale majeure avec ses trois cratères baignés chacun d’un lac à la couleur distincte. Poursuivons donc à travers l’île, gagnant la côte de la mer de Savu pour la première fois. Nous installons dans un bungalow sur pilotis d’un charmant petit resort primitif sur la plage de Paga. Montons notre Hubba Hubba sur le balcon et rangeons nos saccoches à l’intérieur de cette cabane des tropiques. Au réveil, organisant nos bagages, sur le lit, faisons la rencontre d’un serpent faisant près de 2 mètres de la queue à la tête…se présente enfin l’occasion de justifier le transport de cette longue machette achetée l’année dernière aux Philippines!

Quittons la plage et grimpons longuement, la route s’accrochant à un massif montagneux qu’elle traverse, puis descendons vers Wolowaru, enclave musulmane nichée au creux d’une vallée. En périphérie, chez les chrétiens, des «bineries» de bord de route affichent «R.W.» au menu…du bon toutou!

La «Trans-Flores» remonte sitôt vers Moni, camp de base pour touristes et voyageurs désirant visiter le parc national du volcan Kelimutu, juste au-dessus. La pluie et de lourds nuages sont au rendez-vous et les grenouilles dans les rizières fluorescentes s’en réjouissent. Comme l’électricité n’est pas encore rétablie—la tempête tropicale, l’incompétence de la compagnie nationale, les pluies?—, ne pouvant en profiter pour rédiger au clavier, faisons de la mécanique, regraissons les articulations de nos fidèles Devinci. Séjournons trois jours dans le village touristique fantôme—les attentats de Bali et le tsunami affectent toujours l’industrie du tourisme en Indonésie—, froid et lugubre sous le déluge, et devons nous y prendre à deux reprises afin de contempler et photographier les cratères extraterrestres et tricolores du Kelimutu…mission accomplie: turquoise, brun chocolat et noir réglisse!

Entre Moni et le port de Ende, capitale de régence et plus grande agglomération de l’île, la route grimpe jusqu’à un plateau culminant à plus de 1200 mètres, l’un des potagers où prospèrent les «légumes de terre froide». Chemin faisant, frôlons villages Lio organisés autour d’autels sacrificiels ancestraux et «rumah adat», ces grandes maisons où se tiennent rituels et discours importants du clan. Les femmes attelées à leurs métiers à tisser, à l’ombre sur le seuil de leurs huttes, nous prodiguent de chaleureux «Selamat!»

De l’autre côté du plateau, la descente vers Ende enivre, se faufilant parmi rizières altières empilées les unes sur les autres. En longeant la baie de Ende, le mont Iya, qui ferme la petite péninsule s’étirant depuis la capitale, et l’Edulobo, un géant de plus de 2100 mètres dressant sa silhouette symétrique sur le plateau Nage-Keo, droit devant, resplendissent tous deux sous le soleil qui daigne enfin se pointer, les panaches et volutes des volcans reluisant dans la lumière ainsi libérée. Puis gagnons Baowae et Bajawa, plus à l’ouest et plus haut sur cette route fabuleuse, flanquée de trois volcans actifs aux personnalités distinctes: le Ranaka, l’Inierie et l’Inielika. Bajawa, c’est aussi la capitale de la régence de Ngada et le coeur de l’une des régions les plus traditionnelles du monde malais. Autre contrée magique que franchit la «Trans-Flores»…

Légende des photos
Photo 1: parmi ces rizières étagées sur ce tronçon enivrant de la «Trans-Flores»…

Photo 2 : deux des trois cratères du volcan Kelimutu. Pour le peuple Lio qui habite la région, les lacs abritent les âmes des défunts: celles des jeunes séjournent dans le brun, celles des vieux dans le turquoise alors que les âmes des larrons et voleurs errent éternellement dans le profond cratère au lac noir.

15 mars 2007.Bajawa

Le cercle de feu du Pacifique
Sur la « Trans-Flores »
Par Janick Lemieux et Pierre Bouchard

Le JDC. 01/2008
All rights reserved.