Jeannie Longo: Je vais vous dire pourquoi je sors de ma tanière!…
Par Christophe Bérard – Le Parisien
Elle possède un palmarès aussi long que sa détestation de la lumière, des médias et de la mise en avant…
A 62 ans, Jeannie Longo, la femme qui a remporté avec 59 titres de championne de France, 13 titres mondiaux, un titre olympique et trois Tours de France, a décidé de repartir au combat. Elle a rejoint la liste de l’ancien sélectionneur Cyrille Guimard, qui briguera la présidence de la fédération française le 27 février prochain. Toujours réfugiée dans sa maison de St-Martin-le-Vinoux au-dessus de Grenoble, Jeannie Longo a accepté de sortir de son silence. Toujours aussi tranchante. « Appelez-moi bien à la bonne heure, a-t-elle prévenu car je dois m’occuper de mon pauvre bouc malade et c’est quand même le plus important. »
- Pourquoi avoir accepté de sortir de votre retraite ?
- JEANNIE LONGO. Quelle retraite? Je continue à faire des petites courses régionales, des contre-la-montre ou même les Championnats du monde masters ( NDLR : elle a gardé le titre mondial en 2019 dans la catégorie 60-64 ans ). Je reste en contact avec les gens et j’aime échanger avec les autres après les courses. Après, à mon niveau, cela reste du bachotage. L’idée c’est de rester bien dans mon corps. Dans mes catégories, je gagne parfois. Souvent, ce sont des courses groupées avec les hommes et certaines jeunes femmes me battent au sprint parce que je n’ai plus envie de prendre de risques et de frotter dans un peloton (sourire).
- Qu’est-ce qui vous motive à soutenir la candidature de Cyrille Guimard ?
- Parce que son programme tient la route. Les clubs de cyclisme sont esseulés et personne ne les écoute à la fédération. Il y a une fuite de licenciés aussi. Et je vais vous dire, moi qui aime tant ma tranquillité, pourquoi je sors de ma tanière, de mon bois et ma montagne. Je n’aime pas l’absence de démocratie. Cyrille et son équipe ont d’abord été traités comme des moins que rien juste parce qu’ils ont osé s’opposer au pouvoir et à la pensée unique. Et je n’ai pas aimé qu’on fasse pression sur des clubs pour qu’ils ne parrainent pas sa candidature. Là, ça m’a énervée. Cela fait 40 ans que dans ce milieu, il y a du copinage. Au niveau du cyclisme féminin français, on reparle de disputer à nouveau un Tour de France féminin (NDLR : qui s’est déroulé en 1984 et 2009). C’est pourtant une bonne Mais on n’aurait jamais dû l’arrêter ! Jean-Marie Leblanc, l’ancien patron du Tour, avait dit que ça coûtait trop cher. Je m’étais battue, sans que ça se sache, pour changer cette décision. Aujourd’hui, cela manque. Il y aura aussi un Paris-Roubaix féminin mais c’est du folklore. La réalité des femmes cyclistes aujourd’hui, c’est qu’elles sont seules. Dans les clubs, elles ne sont pas des priorités, loin de là. On ne fait rien pour elles. Résultat, les meilleures partent presque toutes à l’étranger car elles ne peuvent rien faire ici. Et là-bas, elles servent d’équipières de luxe.
- Comment faire émerger la nouvelle Jeannie Longo ?
- En organisant des courses par étapes, surtout dans les petites catégories. Là, il n’y a plus d’attraits. Ne nous cachons pas derrière la réussite d’une Pauline Ferrand-Prévot. Rien n’est attirant pour avoir envie de se mettre un dossard aux fesses. Etes-vous en colère ? Je suis surtout agacée par l’inertie. Dans les courses, il y a de moins en moins de bénévoles. Des organisateurs font venir leurs familles ! Certains vont vous rétorquer que le cyclisme français va bien puisque le champion du monde est français… Justement, on se cache derrière Alaphilippe. Ça met de la fraîcheur mais c’est malhonnête de se gargariser de son titre. La Fédération n’est pour rien dans sa réussite.
- Aimez-vous le style de coureur de Julian Alaphilippe ?
- C’est sûr qu’un type qui attaque dès la première étape du Tour, cela me rappelle quelqu’un (sourire) ! J’aime le voir courir à l’instinct. Quand il se sent bien, il fonce sans calcul et prend le maillot. C’est le vélo que j’aime. Un Romain Bardet par exemple est plus cérébral. Aujourd’hui, on souffre d’une technologie à outrance où tout est calculé. Il y a aussi un autre problème en France, on ne s’est longtemps désintéressé du contre-la-montre, contrairement aux Anglo-Saxons et on en paye le prix pour espérer gagner le Tour. LIRE AUSSI> Et si Julian Alaphilippe courait bientôt pour une équipe française ? Aime-t-on assez les coureurs français en France ? Ici, on aime bien descendre les meilleurs juste pour faire du bruit. Pas que dans le sport. Regardez ce qui se passe avec le professeur Raoult désormais. J’assume tout ce que je dis. Jésus a dit : Je hais les tièdes. Le jour où je serai tiède, je serai anéantie et résignée. Depuis le Covid, plein de gens baissent les bras. Il y a d’ailleurs plein de clubs cyclistes qui ne voteront pas pour les élections. Et j’ai peur que les gens au pouvoir se fassent réélire par des béni-oui-oui minoritaires.
- Votre choix de vous présenter sur une liste va-t-il vous inciter à reparler plus ?
- Je crains juste la caricature. Je n’aime pas les mots et je préfère les phrases. Parfois on débat juste sur un seul mot. C’est pour cela que j’aime bien écrire. A quoi ressemble votre vie aujourd’hui ? A beaucoup réfléchir et poser des choses sur le papier. Je suis depuis des années sur un livre mais qui n’avance pas au désespoir de mon pauvre éditeur !
Interview exclusive de Christophe Bérard (Le Parisien)
Prends ma Roue
01/2021
Photos D.R
All rights reserved