Cyclovolcanique: Traverser Bougainville!
Par Janick Lemieux et Pierre Bouchard
«Vous arrivez d’où comme ça? Je m’appelle Peter et travaille sur un programme des Nations Unies qui vise la réinsertion des jeunes qui ne connaissent d’autre réalité que la guerre…notre génération perdue! Ça fonctionne bien. Tout semble être sur la voie de la normalité…la preuve, on vient même visiter Bougainville à bicyclette! Mais aujourd’hui, dépêchez-vous de rentrer à Arawa avant midi car c’est vendredi et on est déjà saouls à boire du «home bru», le «jus de la jungle», alcool puissant et artisanal qu’ils tirent des noix de coco. Je me dépêche moi aussi: ils aiment bien m’intercepter pour faire le plein de Coke ou Sprite, de quoi mélanger avec leur poison! Bon voyage!»
Peter, remonté à bord de son pick-up blanc peint d’un gros «UN» noir, quitte la station-service blindée de bois et grillage. Il ne s’agissait donc que de ne pas transporter de boissons gazeuses…si c’est tout ce que nous avions à craindre durant cette traversée de l’île de Bougainville, tant mieux! Mais ce n’était quand même pas très rassurant qu’on se serve de notre présence comme argument pour justifier la sécurité des lieux…
Tels les membres d’un commando ou des immigrants clandestins, suivant une «croisière» en hors-bord de 8 heures franchissant un fuseau horaire et la frontière entre les Îles Salomon et Papouasie Nouvelle Guinée (PNG), nous étions débarqués la veille sur une plage de la baie de Sirowai, à l’extrémité sud-est de Bougainville, île et province dissidente. S’opposant à l’exploitation outrancière et étrangère de la mine de Panguna, l’un des plus importants gisements de cuivre au monde et poule aux oeufs d’or du gouvernement national, des rebels ont attaqué un bus d’employés de la mine en 1989. C’est ce qui a marqué le début d’une guerre fratricide dévastatrice entre Bougainville et PNG qui ne s’est terminée qu’en 2001 avec la signature de la paix. Bougainville, extension septentrionale des Salomon, a obtenu du coup son autonomie au sein de PNG en échange du démantèlement de ses principaux groupes armés et la remise de leurs armes. Pour l’instant, tout y est en transition et encore trop d’armes en circulation! Nous arborons donc nos plus beaux sourires et roulons d’une station gouvernementale à l’autre. Utilisons le réveil-matin aussi, nous lever avant l’aube pour atteindre notre destination avant midi…surtout parce qu’il fait plus de 35 degrés dès 9h00 et 40 après 11h00!
Dès nos premiers coups de pédale sentons l’ampleur de cette terre que parcourent quelques chaînes de montagnes et remarquons la pureté de ses cours d’eau et forêts: «C’est pour ça que nous avons combattu avec tant d’acharnement!» précise Sam, un commandant sympathique et charismatique de l’Armée Révolutionnaire de Bougainville (BRA) rencontré sur la route entre Sirowai et Arawa. Il nous raconte comment ils s’étaient tous réfugiés dans le labyrinthe vert à l’intérieur de l’île durant la guerre, combattant à la fois malaria, famine et forces armées de PNG, puis nous met en garde contre les dangers du «jus de la jungle»: «Dépêchez-vous d’arriver à Arawa avant midi… »
Après avoir franchi Aropa, l’aéroport désaffecté, et le port de Kieta, récemment réhabilité–sur Bougainville ces temps-ci, on est surtout occupés à redévelopper, restaurer et réhabiliter…–, nous sommes arrivés dans l’ex-capitale provinciale quelques minutes après 13h00…pas de problèmes avec les alcoolos de fin de semaine mais affligés d’une bonne insolation! Filons au Women’s Center Guest Haus, l’un des deux seuls établissements hôteliers d’Arawa, et procédons à notre résurrection. Suivons les conseils de tout le monde et passons le weekend peinards à Arawa. La ville qui jadis regorgeait de tous les joujoux et commodités qu’il soit donné de rêver a succombé aux bombardements et sabotages des antagonistes: un champ de ruines que la jungle vorace réclame toujours! Maintenant que la paix est revenue, on s’efforce de la rebâtir…
Amorçant les randonnées dès l’aube, pédalant parmi cette luxuriance qu’éclaboussent de fraîcheur les premiers rayons du jour, cacatoès et oiseaux de paradis saluant Galarneau d’exotiques stridences, nous avons gagné la station gouvernementale de Wakunai puis la mission catholique de Tinputz. Tôt le matin, nous pouvons aussi contempler le Bagana, volcan des plus jeunes et actifs de Mélanésie, et le Balbi, à 2715 mètres, point fumant et culminant de Bougainville.
À une vingtaine de kilomètres de Tinputz, à mi-chemin entre ce dernier relais sur Bougainville et la passe de Buka, le mécanisme de la roue libre de Pierre roule librement ad vitam aeternam…toutes ces traversées de rivières sans pont, le sable fin et les milles agents corrosifs des mers du sud auront eu le meilleur sur le pauvre moyeu!
À part une nouvelle pièce, avons besoin d’un remontant puissant…du type «jus de la jungle»!
Légende des photos
Photo 1: Bougainville: Renouer avec la route…enfin!
De Sirowai à la passe de Buka, plus de 200 kilomètres à travers forêts et rivières vierges…
Photo 2: le sourire rougi par le «buai» (le même «betel nut» qu’on chique aux Salomons…) et élargi par le «jus de la jungle», une joyeuse bande somme toute inoffensive!
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