Cyclovolcanique: Sampaï jumpa!
Au départ de Bajawa, nos devoirs de touristes, en visitant les villages anachroniques et traditionnels des environs, et notre mission «cyclovolcanique» accomplis en terre Ngada, enfourchons nos montures et renouons avec la «Trans-Flores». Ça reprend avec une descente d’une trentaine de kilos, sinueuse à souhait, qui nous ventile jusqu’à Aimere, petit village de pêcheurs tourné vers la mer de Savu. Des enfants à la fois curieux, espiègles et respectueux nous tiennent compagnie trandis que nous y réparons une crevaison, tout ce monde à l’abri de la pluie sous le portique de leur école vacante en ce début d’après-midi. La dame d’en-face nous invite pour un café asli (du terroir) puis une infusion au cumin dont elle nous vante les propriétés médicinales. Elle nous fait cadeau d’un petit sachet que nous incorporons à notre trousse…culinaire!
En quittant la baie d’Aimere en même temps que la pluie du jour, nous hissons le long d’un crête luxuriante qui remonte vers l’intérieur de l’île…comme la pluie! De petites fermes familiales avec leurs potagers et rizières s’accrochent aux flancs de part et d’autre de la «Trans-Flores» et forment une mosaïque de verts disparates et géométriques. S’en échappent des fragrances qu’a ravivées l’averse et des «Hello Misteuurrrres!», cocoricos et aboiements qui vont se perdre dans la vallée, étouffés par tout ce feuillage exubérant. Gagnons ainsi quelques centaines de mètres d’altitude jusqu’à un plateau où s’étend un grand village: Mok. C’est là que nous avions prévu passer la nuit, espérant pouvoir y dénicher un endroit où ériger la tente et profiter de la fraîcheur des hauteurs. Notre choc fut grand lorsque le pasteur de Mok a refusé notre demande à camper sur la propriété de sa forteresse religieuse, annulant du coup l’autorisation que venait de nous donner un de ses prêtres subalternes. Une première pour nous. N’y comprenons rien à ses motivations. Ce qui sidérait encore plus était le sang froid avec lequel il nous a répondu devant tous ces hommes qui se tenaient accroupis autour de lui, fumant leurs kreteks en buvant ses paroles, réagissant à chaque stance et acquiesçant à toutes ses affirmations. Quoique le tidak, refus catégorique de leur berger a semblé les avoir surpris et déçus autant que nous, jetant un froid glacial dans la moiteur du crépuscule tropical.
Avons donc continué sur le plateau puis entrepris la descente vers Mborong, prochaine agglomération notable et baie le long de cette côte tourmentée, nos frontales et phares allumés, slalomant parmi les vaches aux yeux rouges se rentrant à la maison après une autre longue journée de «broute-jungle». L’obscurité nous transporte dans un autre monde, nos hôtes illuminés depuis l’intérieur de leurs demeures cette fois, incapables de nous voir; les autres qui déambulent emmaillotés dans des couvertures ikat, visibles eux grâce à la lueur pétillante et sautillante des kreteks qui leur pendent au bec. Un jeune homme se dirigeant en scooter vers Mborong se joint à nous et nous éclaire la route qui se faufile parmi la jungle la nuit…spectacle en soi! Merci monsieur le prêcheur!
Vous l’aurez deviné: sitôt parvenus en-bas, sur la côte, que la «Trans-Flores» remonte vers les montagnes, sur les hauts plateaux entourant la ville de Ruteng ce coup-ci, capitale de la régence de Manggarai. C’est une montée franche et honnête: 1200 mètres d’altitude en 25 kilomètres. Mais à plus de 35°C et avec des hordes d’enfants survoltés qui forment littéralement des barrages routiers au lent passage de notre caravane pour nous saluer et transmettre leur fièvre, des segments font quand même suer. À la sortie de Ruteng, évoluant parmi les plus hautes montagnes de l’île, encore plus d’enfants—n’en avons jamais vu autant…il en apparaît des dizaines au détour de chaque courbe dès qu’on nous a repérés, qu’a sonné l’alerte aux turis!—se ruent sur nos roues, s’accrochent à nos sacoches puis se jettent à nos trousses sur des kilomètres! Les petits bénéficient de l’aide des grands, leurs parents: avons vu des mères prévenir leurs rejetons de notre arrivée et les envoyer sur la route nous demander des gula gula (bonbons), des ball pen (stylos à bille) et…uang (de l’argent)! Pour leur rendre la tâche plus facile, nous faisons des crevaisons à répétition, de vieilles rustines qui pèlent et se dégonflent sous la chaleur. Décidément, quelque chose d’étrange s’est passé depuis que nous avons gagné Manggarai, ligne pas si arbitraire que ça entre Aimere et Mborong, quelques kilomètres avant le village de Mok…
Les patches et la colle tiennent bon lors de la descente. Dévalant à toute vitesse maintenant, en sauve-qui-peut, les enfants des villages qui abondent aussi de ce côté n’ont plus de chance: à peine ont-ils le temps de sonner l’alerte que nous engageons déjà dans la prochaine courbe. Atterrissons ainsi dans la plaine de Lembar, tapissée de rizières, à la brunante, au terme d’une autre longue journée, des nuages de moucherons plein la bouche et les narines. Trouvons refuge dans une petite chambre d’un losmen de routiers, juste assez grande pour monter la tente, et bouffons à la rumah makan d’à côté. Commandons à la carte l’un de ces nasi campur: riz frit bien relevé avec minuscules cubes de légumes, grenailles de viande indistincte et un oeuf cristallisé dans l’huile. De retour dans notre chambre, le ventilateur en plastique de la taille d’un disque compact nous chatouille à peine les orteils mais dormons quand même, exténués par tous ce labeur tropical et…moral!
Une autre montée et descente, zig zags les plus pentus et arides de la «Trans», nous sépare encore du port de Labuhanbajo, 65 kilomètres plus à l’ouest…la fin de la route! Rencontrons un motocycliste norvégien voyageant en sens inverse. Pressé par le départ d’un traversier hypothétique qui effectuerait la navette entre Aimere et Timor, il prend quand même le temps d’arrêter et nous demander si la «Trans-Flores» était aussi «mauvaise que ça» en poussant plus à l’est…lui présentons un rapport qui tient compte de nos perspectives différentes et lui souhaitons Selamat jalan et Sampaï jumpa! Notre Viking roulait depuis sa Scandinavie et se dirigeait vers l’Australie…
Célébrons à Labuhanbajo la réalisation de cet autre chapitre de notre équipée «cyclovolcanique», sablant Bintang et nous régalant de poissons et fruits de mer frais sur barbecue! C’est ici qu’il est le plus naturel d’accéder aux fameuses îles Rinca et Komodo, terres abritant les plus grands—et voraces—varans du monde. Comme le temps passe et nos visas s’égrènent, après en avoir débattu lors de quelques séances de Bintang et ikan bakar, laissons l’occasion filer et nous embarquons plutôt pour Sumbawa et son plus célèbre volcan, le Tambora. Son éruption d’avril 1816 demeure la plus puissante explosion volcanique de l’histoire. Le stratovolcan fut amputé de près de 1500 mètres et on estime à 60 000 le nombre de victimes. Les effets de l’éruption sur le climat mondial entraînèrent une chute des températures moyennes et on se souvient de 1816 comme l’année sans été.
Débarquons donc sur Sumbawa à Sape, petite ville saturée de «Ben-Hurs», ces chars mûs par chevaux dépourvus de couches…au grand dam des cyclistes et grand plaisir des mouches! Avant de nous rendre au Tambora, poursuivons vers le nord le long de la côte sur une route archi abrupte qui offre des panoramas sublimes sur l’île-volcan Sangeang Api, un dragon des mers à deux têtes qui crache le feu ces temps-ci. Paysages époustouflants et paysans musulmans nous tiennent en haleine et compagnie tout autour de cette péninsule volcanique paumée, ce paradis perdu, puis, en remontant le cours d’une rivière et franchissant un col peu élevé, découvrons la majestueuse baie de Bima, centre des plus peuplés de Sumbawa et siège d’un ancien sultanat. Rejoignons la route principale qui franchit cette île tentaculaire et contournons le fond de la baie, quadrillé de piscicultures, myticultures et mares à crevettes. Progressant toujours plus vers l’ouest, remontons une vallée jusqu’à un autre petit col où bandes de macaques maraudeurs jouent les innocents en bord de route. Les regards défiants qu’ils nous jettent à la montée intimident et incitent à la vigilance…
Janick Lemieux et Pierre Bouchard. Mars 2007.
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Légende des photos
Photo 1: cap sur Sangeang Api, île volcanique aux dômes siamois boucanant au large de la côte nord-est de Sumbawa. Redoutant une éruption majeure, ses habitants ont été évacués il y a quelques décennies déjà et relocalisés sur la pointe nord-est de Sumbawa, au village de Sangeang Darat. On y vit de la pêche et la construction de «pinisi», bateaux de bois nés du génie et de l’expertise des Bugis, ce fameux peuple maritime originaire de l’île de Célèbes(Sulawesi).
Photo 2: sur les hauts plateaux de Manggarai que franchit la «Trans-Flores», des enfants reviennent d’une autre corvée d’eau. Des enfants de Manggarai, certes, mais des enfants dotés d’une mission…
A suivre…