Cyclovolcanique: Ces autoroutes volcaniques altières de Tohoku
Sur l’autoroute alpine Bandai-Azuma Skyline, les bancs de neige sont épais et la voie libre pour les vacanciers de la Golden Week, congé annuel japonais qui dure une semaine au mois de mai.
Au nord d’Aizuwakamatsu et du lac Inawashiro s’étire un chapelet de volcans et autoroutes alpines qui compose un véritable délice de basalte et asphalte: les volcans Bandai-san, Adatara-yama, Azuma-san et Zao-san qu’enfilent et relient les Gold Line, Lake Line, Bandai-Azuma Skyline et Zao Highline. Y prenons notre pied jusqu’à ce qu’à ce que le pneu avant de Pierre éclate à la descente de la Bandai-Azuma Skyline…à près de 70km/h! Plus de peur que de mal, il s’en tire seulement avec quelques bonnes abrasions—heureusement que le climat qui sévissait là-haut exige le port de collants, manteaux et gants!—et…multiples contusions!
Les plaies coagulent pendant que nous roulons plus bas dans la vallée, sur la Fruit Line. Cette route rurale franchit une intense zone de vergers où Japonaises pollinisatrices aux tenues issues de La Petite Maison dans la Prairie époussettent d’un plumeau précis chaque fleur de ces pommiers et poiriers irréprochables. À l’autre bout de la Fruit Line, la station balnéaire réputée de Iizaka, la plus ancienne communauté onsen du Japon, réconforte le routard. Ce fut le cas il y a plus de 300 ans pour Matsuo Basho, le père de la poésie haïku. Ses pérégrinations dans la région de Tohoku lui ont inspirées son célèbre recueil La sente étroite du bout du monde. Malheureusement pour Pierre, pas question de tremper ses plaies dans les établissements d’Iizaka. Pis encore, il ne pourra profiter des vertus thérapeutiques de ces bains d’eau chaude minérale pour les prochaines semaines…en théorie seulement!
Quand l’acide gèle: attraction principale de la Zao Highline avec sa surface vert émeraude brillant au sein d’un désert lunaire, le lac Okama occupe le cratère du cône Goshiki-dake et représente l’évent le plus actif du complexe volcanique du mont Zao. Comme les eaux corrosives au ph de 1,3 sont encore gelées, les balladeurs de la Golden Week—et les vagabonds du Cercle de feu…—voient leurs efforts, détermination et patience récompensés par cette scène hivernale. Pas mal du tout comme prix de consolation!
Poursuivons vers le nord jusqu’à la petite ville agricole de Shiroishi, dans la préfecture de Miyagi. Y délaissons la Nationale #4 et amorçons une autre ascension de l’épine dorsale de Honshu qui nous conduit cette fois jusqu’à la barrière de la Zao Highline, encore une de ces autoroutes volcaniques altières de Tohoku. C’est la voie d’accès au volcan Zao-san et son spectaculaire lac de cratère Okama. Et ne sommes pas seuls là-haut car sévit la Golden Week à travers tout le pays, congé annuel qui dure une semaine ici, et un embouteillage de plus d’un kilomètre dégouline de chaque côté du col séparant les préfectures de Miyagi et Yamagata. Des voitures pleines de familles, couples et amis tout comme des bus remplis de vacanciers se butent à l’intransigeance du gardien de ce court cul-de-sac menant droit au cratère. En dépit de cette affluence phénoménale et des deux heures de lumière qu’il restait encore au jour, le petit bonhomme impassible en uniforme indigo nous servait de raides «Damé! Damé!», les avant-bras en ce croisé prohibitif qui sait marquer le visiteur au Japon, et ce, au grand dam de toute cette cohue coincée à ce carrefour alpin! Sommes témoins pour la première fois de la frustration de Japonais en public et profitons de la diversion fournie par les manifestations de défoulement de quelques automobilistes pour poursuivre à pied sur les pentes enneigées du volcan jusqu’aux lèvres de son cratère et faire quelques photos du lac d’acide encore gelé. Revenus à la barrière du vigile zélé qui était toujours occupé à distribuer des «X», enfourchons nos montures pour dévaler la Zao Echo Line, basculant ainsi du côté de la ville de Yamagata et mer du Japon.
Séjournons quelques jours au coeur de la ville. Campons dans le parc Kajo autour des ruines du château de Mogami Yoshiaki, son plus important daimyo ou gouverneur féodal, la nuit et rédigeons dans les locaux de son International Friendship Association le jour. Jouons les vautours dans ses supermarchés à l’approche de la fermeture, en ressortant avec des butins de sushis et sashimis dont nous délectons aux abords des ruines. La Golden Week culmine avec le Jour national des Enfants, le 5 mai, et le centre-ville de Yamagata est pris d’assaut par de jeunes familles et légions de bouts d’choux qui donnent libre cours à leurs fantasmes ludiques et professionnels…
En route vers la mer du Japon via le col Okoshi, tandis que nous prenons une pause à l’entrée du tunnel sommital—il semble que tous les cols de montagne de ce pays soient désormais tronqués de ces ignobles passages souterrains…—, une voiture de police se gare sur l’accotement et son unique occupant, un officier bien cravaté et coiffé, en sort pour nous servir des «Damé! Damé!» à son tour. Il ne nous en faut pas plus pour comprendre que les vélos sont interdits sur la Nationale #112, ce qui nous étonne car n’avons vu aucune signalisation nous en avertissant. D’autant plus que la route est peu achalandée et possède un bon accotement. Notre policier est visiblement embêté par cette situation: il ne peut nous embarquer et il nous est tout aussi interdit de continuer d’avancer que rebrousser chemin—et il faudra bien qu’il rédige un rapport de tout ceci! Il multiplie les appels sur son cellulaire, certains fort probablement fictifs, achetant du temps et gardant la face. C’est à ce moment qu’intervient Adachi, un Japonais atypique vivant et travaillant à Sagae, l’agglomération entre ici et Yamagata. Ayant saisi la nature et l’ampleur du malaise en passant cette drôle de scène de bord de route, Adachi a retraversé le tunnel pour venir nous cueillir au grand soulagement de l’officier! C’est ainsi que nous sommes retrouvés sur un voilier ancré dans une petite marina de la mer du Japon à partager les 36 heures de congé d’un excentrique fonctionnaire nippon…
Photo: Adachi, sympathique Japonais atypique!
Par Pierre Bouchard et Jannick Lemieux
Le JED. 01/2009
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