Cyclovolcanique: Epices, religions et volcans!

velo conceptPar Janick Lemieux et Pierre Bouchard

Confions à un monteur de roue expérimenté le soin de remplacer notre moyeu défunt pendant que nous nous livrons à une initiation sans retenue de la cuisine indonésienne, un menu infini de plats merveilleusement aromatisés et piquants. Tout un éventail de pâtisseries, friandises et breuvages aussi, délectables même si toujours sucrés à faire tomber les dents! Un effet positif de la «Transmigrassi» de l’ex-dictateur Suharto, politique de relocalisation planifiée visant officiellement l’unité nationale au sein de cette mosaïque de peuples et cultures, c’est qu’on retrouve toujours de la bouffe de partout en Indonésie, même ici, dans les Moluques du nord, recoin de cette nation aux 17 000 îles…
Les arrière-trains bien échauffés-les orifices y goûtent aussi avec la bouffe indonésienne!–, nous lançons autour de l’île de Ternate. Le produit d’un volcan sous-marin émergé et actif, le Gamalama (1715 mètres), cette terre verdoyante et conique est l’une des légendaires «îles des épices». Ceinturons donc le Gamalama et l’ancien sultanat de Ternate sur une dentelle d’asphalte qui épouse le corps de l’île en un parcours aux courbes serrées et courtes pentes abruptes. Des averses d’«Hello Mister»–en dépit de «l’inmasculinité» de Janick…–percutent à nos tympans tandis que nous progressons tranquillement sous les 40 degrés du «matahari», le soleil ici. En traversant les nombreux villages qui se relayent sur cette boucle d’une cinquantaine de kilomètres, alignements parallèles de maisons colorées et coiffées de tôles rouillées qu’interrompent à intervalles réguliers une mosquée ou une église chapeautées de leurs propres rouillures symboliques, dômes ou tourelles, nous faisons nos classes en matière d’épices: c’est qu’on prend plaisir à nous instruire quant à la nature et propriétés des drôles d’amas de fibres et coquilles polychromes qui chamarrent le bord de route et maturent dans ce bain de lumière torride: noix de muscade, leurs enveloppes de macis telles des étoiles écarlates, fleurs de girofliers et minuscules piments atomiques!
Une première boucle complétée, poussons nos montures hors du quai de Bastiong pour les arrimer sur le pont supérieur d’un petit bateau à moteur en bois peinturluré à la manière de ces innombrables embarcations qui pullulent en Indonésie et égaient ses ports. 20 minutes plus tard, nous débarquons sur la jumelle de Ternate, l’île de Tidore. De taille similaire et desservie aussi par une route circulaire, Tidore est également un ex-sultanat et un volcan, plutôt un complexe volcanique composé du mont Kiematabu (1730 mètres) et la caldeira de Sabale. Les deux structures magmatiques se tiennent peinardes depuis une époque lointaine déjà et ça semble déteindre sur le tempérament des insulaires de Tidore…quoique leurs «Hello Mister» nous éclaboussent avec la même pétulance qui caractérisait les pluies d’acclamations autour de Ternate!

On est aussi très accueillants sur Tidore. Au troisième ou quatrième village que nous franchissons-la route embroche hameau sur hameau pendant les deux-tiers de sa circumnavigation en une bande continue de parapets pastel et bâtiments multicolores aux ornements paysagistes impeccables–, des Musulmans en tenue traditionnelle rassemblés autour d’un banquet nous invitent à prendre une pause et donner quelques coups de fourchette dans leur «nasi kuning ikan» (riz jaune de curcuma avec poisson grillé et sauce pimentée), un plat pour les grandes occasions ici. Afin de nous expliquer en quoi consistait le rituel et surtout nous tenir compagnie, on est allé chercher l’imam le plus près car il parle anglais. Encore dégoulinant de ses ablutions d’après-midi, le maître de prières, dès qu’il descend de sa moto copie d’Harley, nous apprend que les familles réunies célèbrent des funérailles et entreprend notre conversion: «Allah est le plus grand!» nous fait-il répéter en arabe. Avant de retourner dans ses quartiers, il nous promet son soutien inconditionnel 24 sur 24 advenant quoi que ce soit: «Même si vous vous trouvez en prison, je peux vous secourir. Les policiers me craignent tous car ils savent que je n’ai pas besoin d’arme pour les anéantir. Je n’ai qu’à arracher un poil de ma barbe pour tuer une personne!» termine-t-il avec un rictus «mansonien»! Nous autorisant à croquer son portrait, assis sur sa moto le dos à l’objectif…, il nous fait promettre de ne montrer les résulats à personne! Si la photo de ce religieux hirsute aboutit dans notre album, sur un écran d’auditorium ou une page de magazine et nous nous éteignons mystérieusement, faudra remonter cette filière indonésienne et enquêter sur cet intéressant cas de vaudou et pilosité faciale…
Par-delà Soasiu, agglomération la plus importante de Tidore, la route qui devient plus «bio» et défiante relie désormais petites communautés de pêcheurs qu’isolent caps et promontoires. Avant de quitter l’une des baies abritant l’un de ces villages, on nous invite pour une autre pause «nasi kuning ikan». Il s’agit d’un banquet organisé en l’honneur de l’anniversaire d’un enfant du clan cette fois, de simples réjouissances absolument dépourvues de prosélytisme!
Revenus à Rum, notre point de départ sur Tidore, retraversons le détroit qui nous sépare de Ternate pour y pédaler jusque sur la jetée du marché Gamalama où nous encombrons le toit d’une vedette à passagers cette fois avec nos vélos et pénates. Mettons le cap sur Sidangoli et l’île d’Halmahera, la plus grosse des Moluques du nord, attirés par le Dukono-en éruption non-stop depuis 1933! De Sidangoli, avons le privilège de pouvoir rouler jusqu’à Tobelo et Galela, petites villes régulièrement saupoudrées des cendres du volcan: quelques centaines de kilomètres d’ascensions fièvreuses, panoramas hallucinants, descentes-ventilateurs subversives et rencontres sincères et touchantes. Une seule ombre au tableau: chaque village sur notre chemin, qu’il soit de confession chrétienne ou musulmane, porte les stigmates du conflit fatricide d’origine strictement religieuse qui a ravagé en 1999/2000 presque toutes les Moluques-et d’autres provinces indonésiennes dont les Célèbes centrales…–faisant des dizaines de milliers de victimes. Alternant avec paysages côtiers et arpents de forêt équatoriale sublimes, les tristes décors de communautés aux églises et mosquées profanées, brûlées et explosées; maisons rasées et réfugiés squattant parmi toutes ces ruines choquent: les horreurs d’une funeste calamité spirituelle et sociale qui éclipsent celles liées aux risques que pose le volcanisme de la région…

Légende des photos
Photo 1: les cendres du Dukono (1183 mètres) qui envahissent le firmament de Tobelo au crépuscule. La «guerre sainte» divisant la population d’Halmahera a interrompu le travail des volcanologues de la fin des années 90 jusqu’à l’année dernière…
Photo 2: aussi à la fin du jour, quand la vie augmente d’intensité dans tout l’archipel, un confiseur à bicyclette attire une jeune clientèle «glucomane» dans les rues achalandées de «kota» (ville) Ternate.

Retrouvez l’odyssée complète de Pierre Bouchard et janick Lemieux sur:
En francais: Cercle de feu du Pacifique a velo
http://www.velomag.com
En anglais: Cycling the Pacific Ring of Fire
http://www.pedalmag.com

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